Les Enfants du paradis
Les Enfants du paradis
Fiche technique
Mon avis
Le film s’impose avec une évidence magnifique comme un chef-d’œuvre, comme un petit miracle d’alchimie entre de nombreux talents. Il y a d’abord le scénario et les dialogues de Jacques Prévert qui jongle avec les mots comme personne, avec une verve constante, à la fois poétique et gouailleuse, gracieuse et ironique, légère et grave. C’est peut-être le plus beau texte jamais écrit pour le cinéma, dont certains extraits ou certaines répliques sont devenus cultes à juste titre (« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment, comme nous, d’un aussi grand amour »…). L’histoire évoque les vies du mime Debureau, de l’acteur Frédérick Lemaître et du criminel Lacenaire. Trois destinées librement imbriquées et associées à celles de personnages imaginaires, dans le Paris de Balzac, sous Louis-Philippe. Une ville qui revit en une reconstitution fastueuse, superbe cadre d’un récit où il est question d’art de la scène (pantomime et théâtre), d’amour, de jalousie et de liberté. Le ton oscille avec bonheur entre un néoromantisme dramatique et une drôlerie irrésistible. Marcel Carné traduit l’inspiration de Jacques Prévert à l’écran avec des plans savamment composés, de beaux clairs-obscurs et une parfaite fluidité narrative. Il magnifie deux thèmes centraux dans sa filmographie : le destin et le grand amour impossible. Les Enfants du paradis constitue l’œuvre phare du tandem Prévert-Carné (huit films à leur actif, de Jenny en 1936 aux Portes de la nuit en 1946) et l’une des plus belles illustrations du « réalisme poétique » que les deux hommes ont contribué à faire émerger dans les années 1930-1940. Le succès immédiat du film, critique et public, doit aussi beaucoup, évidemment, aux interprètes qui « habitent » intensément leur personnage. On a encensé le couple formé par Arletty et Jean-Louis Barrault. Elle, malicieuse et mélancolique. Lui, tour à tour lunaire et exalté. Mais les compositions de Pierre Brasseur (cabotin en diable dans le rôle de Frédérick Lemaître), Marcel Herrand (froidement cynique en Lacenaire) et Pierre Renoir (inquiétant et repoussant oiseau de mauvais augure, baptisé « Jéricho ») sont tout aussi excellentes. L’association de ces talents marque ainsi l’apogée du cinéma français sous l’Occupation (et un apogée du cinéma en général).
Le tournage de cette « superproduction », initialement franco-italienne, a débuté à Nice, dans les studios de la Victorine, en août 1943. Il s’est interrompu quand le régime fasciste de Mussolini est tombé, entraînant la défection du coproducteur italien, puis a recommencé sous la bannière française de Pathé, à Paris, en novembre. Pierre Renoir a alors repris le rôle tenu par Robert Le Vigan, en fuite vers l’Allemagne, tandis que le décorateur Alexandre Trauner et le compositeur Joseph Kosma, tous deux juifs, apportaient leur contribution au film « dans la clandestinité » (comme le précise le générique). Ce tournage mouvementé et paradoxal (car déployant une grande richesse de moyens – décors, costumes… – en des temps de restriction) s’est achevé en mars 1944. Mais il fallut encore filmer quelques scènes de raccord, après la Libération, en obtenant des autorités françaises qu’elles relâchent Arletty, arrêtée pour collaboration, le temps des prises de vue… Le film est finalement sorti en salles en mars 1945.
À noter, parmi les deux mille figurants, la présence non créditée de Gérard Blain et de Jean Carmet.
François Truffaut, grand admirateur du film, dira en 1984, peu de temps avant de mourir : « Je donnerais tous mes films pour avoir réalisé Les Enfants du paradis. »
Frédéric Viaux (film vu le 23/12/1995, revu le 22/12/2012)