45 ans
45 Years
Fiche technique
Mon avis
Il suffit d’un adjectif possessif, lorsque Geoff (Tom Courtenay) dit « ma Katya » en parlant de sa défunte compagne, pour jeter un trouble puissant et rompre l’équilibre de 45 ans de mariage avec Kate (Charlotte Rampling). Ce film, adapté d’une nouvelle de David Constantine (In Another Country), est d’une minutie terrible. Passé l’introduction avec la réception de la lettre et les premiers commentaires de Geoff, chaque détail – parole ou geste – vient participer, avec une grande justesse, d’un dérèglement progressif du quotidien, d’un effritement douloureux des certitudes, de la confiance, en l’autre, en soi. Kate ne reconnaît plus son mari ou s’aperçoit qu’elle ne le connaît pas. Pire, elle ne connaît pas ce qu’elle représente réellement à ses yeux. La petite blessure initiale, à l’évocation d’un autre amour, devient, à force de doute sur le fait de n’avoir été qu’un substitut amoureux (jusque dans les prénoms, Kate remplaçant Katya), une déchirure béante, dans laquelle s’engouffre un mélange de jalousie et d’accablement. Souffrance sourde jusqu’à l’étouffement. Écartèlement entre un moi intime qui vacille et un moi social qui cherche à préserver les apparences. Le scénario peut se résumer à la relecture d’une vie à la lumière d’un événement passé, longtemps enfoui, qui, en rejaillissant, modifie toute perception, toute compréhension. Illusions et désillusions face au château de cartes d’une vie qui s’écroule. Et à la clé, une nouvelle donne, une nouvelle interaction de couple, fondée sur un insupportable jeu de faux-semblants, capté avec une lucidité cruelle dans les dernières scènes du film. À l’image de ce dénouement magnifique, qui laisse une trace infiniment amère, toute l’écriture du film et sa mise en scène témoignent d’une belle maturité, intelligente et sensible, dans l’approche d’un couple et de ses mystères. Peu connu, Andrew Haigh signe un film subtil et fort, dense et complexe sous des dehors simples et épurés, qui doit évidemment beaucoup aux deux interprètes principaux : Tom Courtenay, dans un registre opaque, fragile, imprévisible ; Charlotte Rampling, d’une finesse et d’une expressivité bouleversantes en termes de dévastation intérieure. Tous deux ont obtenu les prix d’interprétation au festival de Berlin 2015.
Frédéric Viaux (film vu le 02/02/2016)
J’aime beaucoup ta critique. Tu as laissé parler tes émotions, bien au-delà de la critique, et c’est très finement écrit.