El realismo socialista como una de las bellas artes
El realismo socialista como una de las bellas artes
Fiche technique
Mon avis
Un film rare, « miraculé », qui parlera aux amateurs du cinéma de Raoul Ruiz, aux connaisseurs de l’histoire chilienne et aux passionnés d’histoire du cinéma. Le tournage de ce long-métrage de fiction, aux accents documentaires, s’est déployé en 1972-1973 avant de s’arrêter au moment du coup d’État de Pinochet. Ruiz s’est alors exilé en France, laissant derrière lui, entre autres, les bobines d’El realismo socialista, qui ont connu des fortunes et des chemins divers. Elles ont probablement été remises à l’ambassade d’Allemagne, avant d’être dispersées façon puzzle aux quatre coins du monde (États-Unis, Belgique…). Après la mort du cinéaste (2011), un travail de collecte des différents fragments de ce film inachevé a été entrepris, et c’est Valeria Sarmiento, la veuve et fidèle collaboratrice de Ruiz, elle-même réalisatrice, qui s’est lancé dans leur montage (a priori sans scénario) pour aboutir à ce résultat. D’où la double signature du film et les deux dates mentionnées sur l’affiche (1973 et 2023).
Eu égard au fait que le tournage n’est pas allé à son terme et qu’il n’y a pas eu d’ajout de scènes a posteriori, eu égard également au fait que toutes les bobines n’ont probablement pas été retrouvées, eu égard enfin au fait qu’El realismo socialista est le fruit de deux regards créatifs distincts, à 50 ans d’intervalle, le résultat apparaît forcément comme un objet incomplet, inabouti et hybride, avec une qualité de narration et d’images inégale, avec aussi une lisibilité parfois délicate pour les spectateurs qui ne connaissent pas ou qui connaissent peu l’histoire chilienne. Il est toutefois possible de s’appuyer sur la connaissance d’un fond commun d’histoire politique mondiale (la montée du communisme et du socialisme dans les années 1960-70) pour saisir la teneur du récit et mesurer l’ironie qui la sous-tend. Car c’est bien d’une satire politique qu’il s’agit, nourrie d’un sens de l’absurde propre au cinéaste chilien. Ruiz souligne les travers, les paradoxes, les écueils des différentes structures de gauche présents au Chili : partis politiques, groupes d’intellectuels, unions ouvrières, bidonvilles organisés en camps révolutionnaires… Il est question de contradictions entre idéologie politique et action concrète, d’interprétation roublarde de la pensée de Marx, d’engagements petits-bourgeois, de débats stériles, d’ambitions poétiques totalement décalées par rapport à la réalité, de trahison, de suicide collectif ! Au final, c’est l’incapacité de travailler ensemble à la construction d’un avenir commun qui est pointé… par un cinéaste qui était lui-même militant socialiste.
Sur la forme, le film détourne le style des films militants de l’époque, à des fins parodiques et critiques. C’est un enchaînement très bavard de discours et de dialogues, aux formalismes divers. Enchaînement amusant et fatigant à la fois. On notera aussi quelques saillies tristement prémonitoires, notamment quand un homme de droite dit qu’il faudrait tuer le Président…
Frédéric Viaux (film vu le 11/10/2024)