Her
Her
Fiche technique
Mon avis
Depuis Metropolis, Les Temps modernes ou encore 2001 – L’odyssée de l’espace, les relations entre l’homme et la machine se sont singulièrement réchauffées… On est passé d’un rapport de force inquiétant, d’une idée d’aliénation possible, à une nouvelle forme de romantisme. Ridley Scott, avec Blade Runner, avait déjà ouvert la voie d’une idylle entre un homme et une androïde, sous un jour sombre. Spike Jonze, lui, pousse le curseur plus loin, en consacrant un film entier à une pure histoire d’amour entre un homme et une voix (une simple voix) d’ordinateur, sous un jour lumineux et coloré. Il fallait oser. Le réalisateur y est allé sans complexe, mais en cernant finement la complexité, la profondeur et le trouble de cette romance postmoderne. Il fallait cet engagement, ce jusqu’au-boutisme dramatique, pour éviter le ridicule. Et c’est réussi. Même si l’on peut regretter quelques touches trop ouatées ici et là, ou certains aspects trop proprets de l’ensemble, on est bluffé par la qualité émotionnelle et sensuelle de cette histoire. C’est un véritable tour de force en termes de scénario, de réalisation et d’interprétation, compte tenu du dispositif de base : un homme qui parle à son ordinateur pendant deux heures… Bon, quand on sait que le personnage principal est interprété par Joaquin Phoenix (plus sensible que jamais) et que la voix de l’ordinateur est celle, délicieusement éraillée, de Scarlett Johansson (plus subtile et sensuelle que jamais, sans apparaître à l’écran), ça aide… Avec ces deux acteurs, Spike Jonze a pu laisser libre cours à son imagination poétique et, mine de rien, réinventer le mélo en le cuisinant à la sauce SF, une sauce très personnelle dans laquelle il a ajouté au thème de l’intelligence artificielle celui de la sensibilité artificielle.
L’action se déroule dans une société futuriste que l’on n’a guère de mal à imaginer ainsi, tant elle semble dans la continuité logique de la nôtre. Le cinéaste a intelligemment développé, sans gadgetisation délirante, certaines tendances contemporaines : explosion des nouvelles technologies de communication, boom des jeux vidéo et d’une certaine vie par procuration, déshumanisation des échanges, solitude urbaine… Mais au-delà des visions futuristes, crédibles et cohérentes, au-delà de l’expression moderne d’une confusion entre réalité et virtualité, au-delà des perspectives métaphysiques joliment dessinées, à la fin du film, autour du potentiel infini d’une intelligence artificielle, c’est finalement le sentiment amoureux, dans ce qu’il a d’universel et d’intemporel, que le film sonde de façon étonnante et pertinente. En racontant une histoire d’amour (plutôt classique dans son déroulé) entre un homme et un système informatique programmé pour correspondre et répondre à ses attentes, Spike Jonze questionne l’idéalisme amoureux et la notion d’altérité dans la relation amoureuse. Le personnage de Theodore n’est-il pas amoureux de ses propres projections, d’un dédoublement de son ego, féminisé, qui lui tend un parfait miroir intelligent et sensible ? Plus généralement, est-ce que l’on aime l’autre pour ce qu’il est ou pour ce qu’il nous renvoie ? Ces questions font la richesse du film, sans jamais le plomber. Car le réalisateur a le don de creuser ses idées avec une fluidité merveilleuse, une légèreté gracieuse, soyeuse, presque berçante, et une tonalité mélancolique bien à lui, qui débouche sur une forme de plénitude un peu triste mais doucement sereine. Et c’est très beau.
À noter que le film a reçu l’Oscar du meilleur scénario en 2014. Il est par ailleurs dédié, entre autres, à Maurice Sendak, l’auteur du roman Max et les Maximonstres que Spike Jonze a adapté au cinéma en 2009. Et la musique, superbe, est signée Arcade Fire.
Frédéric Viaux (film vu le 24/03/2014)