In the Land of the Head Hunters
In the Land of the Head Hunters: A Drama of Primitive Life on the Shores of the North Pacific
Fiche technique
Mon avis
Une curiosité pour cinéphiles, historiens du cinéma et ethnologues. Datant de 1914, ce film a disparu pendant une trentaine d’années avant d’être retrouvé en 1947 dans un état abîmé et lacunaire. Différentes restaurations ont eu lieu depuis, dont la dernière en 2013, qui a notamment permis de combler quelques trous ou passages illisibles par des photos de tournage. L’intérêt du film, un siècle après sa première diffusion, réside moins dans sa dimension romanesque débridée que dans son regard ethnologique et sa qualité graphique. Pour cerner cela, il faut connaître un peu le réalisateur, Edward S. Curtis. Photographe-ethnologue, il a passé trente-cinq ans à saisir la « vie primitive » des Amérindiens, leurs traditions, leurs cultures, notamment via la constitution d’une encyclopédie photographique. Le film In the Land of the Head Hunters s’inscrit dans la continuité de son projet. Curtis s’est intéressé de près aux Kwakiutl, une tribu de l’île de Vancouver dont il admirait les totems, les canoës sculptés, les costumes, les cérémonies… Il a préparé et tourné son film pendant trois ans, en extérieurs (alors que la quasi-totalité des réalisations de l’époque se faisaient en studio), sans équipe pro, avec le seul soutien des Kwakiutl. Mais In the Land of the Head Hunters n’est pas un documentaire. Peu en fonds, Curtis devait gagner de l’argent avec ce film et donc séduire le grand public. Il a brodé une histoire mêlant récit initiatique, amours empêchées, sorcellerie, aventures et combats, en confiant tous les rôles aux Kwakiutl. Ce mélange de fiction et de réalité est vivant, plutôt bien troussé, mais il laisse un doute permanent pendant le film. Qu’est-ce qui tient de la vraie vie des Indiens ? Quels sont les arrangements fictionnels ? On apprend dans le dossier de presse du film que Curtis a attribué aux Kwakiutl des années 1910 un mode de vie relevant davantage de celui de leurs aïeux, et qu’il a fait des emprunts à d’autres tribus. Si la précision ethnologique est donc à relativiser, la démarche générale de recherche d’authenticité est tout de même louable, digne d’intérêt et porteuse d’un respect notable à l’égard d’Indiens que l’on cantonnait facilement aux rôles de méchants sauvages dans le cinéma d’alors. Ce petit long-métrage (très long pour une époque où le court était roi) n’a malheureusement pas eu le succès escompté en salles. Endetté, Curtis tournera quand même deux autres films en 1916 (deux documentaires), puis abandonnera peu à peu la voie de l’ethnologie pour devenir photographe de plateau à Hollywood dans les années 1930.
Frédéric Viaux (film vu le 23/12/2013)