J’accuse
J'accuse
Fiche technique
Mon avis
Pionnier du cinéma français, réalisateur inventif, ambitieux voire mégalo, Abel Gance n’a pas fait dans la dentelle pour cette grande saga mélodramatique et morale, où il est question d’amour, de guerre et de fraternité, mais aussi d’honneur, d’héroïsme et de folie. Le lyrisme pathétique est appuyé ; l’idéologie s’avère hétéroclite, entre patriotisme et plaidoyer pacifiste contre la guerre ; le propos est édifiant et démonstratif, notamment via la répétition du titre du film, J’accuse, durant tout le récit. Sorti en France en avril 1919, ce très long métrage n’a pas été bien reçu, peut-être à cause de son dénouement qui interroge la dignité et la moralité de ceux qui ont survécu à la guerre, eu égard au sacrifice des soldats tombés sur les champs de bataille. Et puis les gens n’avaient peut-être pas envie, tout simplement, de revivre à l’écran les souffrances d’un passé encore chaud. Quoi qu’il en soit, le film vaut aujourd’hui essentiellement pour ses qualités cinématographiques et quelques idées particulièrement marquantes. Il y a dans ce cinéma, aussi grandiloquent soit-il parfois, du souffle, de la puissance, de l’ampleur qui s’expriment via la mise en scène des combats, les effets de réalisation (surimpressions, ombres expressionnistes…) et le montage. Certaines scènes témoignent d’une inspiration remarquable : la danse des squelettes pour incarner la mort – une mort à la fête – sur les champs de bataille ; la vision-hallucination du chef gaulois qui mène ses troupes à la victoire ; l’insertion à l’écran d’extraits de lettres de poilus, qui donnent au film son authenticité la plus poignante ; poignante aussi est la scène d’humiliation de la petite Angèle à qui d’autres enfants font porter un casque allemand et simuler une exécution. Et enfin, la grande idée du film se déploie à la fin, dans toute sa fantasmagorie : le réveil des morts qui retournent auprès des vivants pour s’assurer que leur trépas a eu du sens et que les survivants leur font honneur. « Ils avaient la figure terreuse et les orbites pleines d’étoiles. Ils venaient innombrables, au fond de l’horizon, comme des vagues réveillées. » Le traitement visuel de cette idée, macabre et spectaculaire, laisse une forte impression.
À noter qu’Abel Gance a été assisté, pour ce film, par l’écrivain Blaise Cendrars. Le cinéaste imaginera une suite, également intitulée J’accuse, tournée en 1937 et sortie en janvier 1938, en pleine ascension nazie. Comme un avertissement et une vision prémonitoire.
Frédéric Viaux (film vu le 16/11/2014)