La Nuit des morts-vivants
Night of the Living Dead
Fiche technique
Mon avis
Cette Nuit des morts-vivants laisse une impression saisissante, qui va au-delà de la peur suscitée par les développements thématiques et stylistiques propres à l’épouvante ou à l’horreur. Une impression de l’ordre du malaise, qui naît du champ d’interprétation qu’ouvre le film. À la différence de Massacre à la tronçonneuse (1974), autre classique du genre, simplement mais efficacement horrible et rigolard, cette nuit zombiesque, d’une pure noirceur, présente un possible sous-texte social et politique, assez troublant, qui fait sa richesse. Pourtant, à en croire George A. Romero et ses complices, aucun message n’était prémédité et l’objectif se limitait à faire un bon film de genre, rentable avec peu de moyens. L’équipe du film reconnaît toutefois qu’elle était forcément imprégnée par le contexte de l’époque. Et c’est ce contexte que l’on peut voir en filigrane à l’écran, présent de manière inconsciente ou métaphorique, via le sort réservé au héros noir du film et via la symbolique des zombies, la peur qu’ils inspirent, la chasse et l’extermination dont ils font l’objet.
La couleur de peau de Duane Jones, qui interprète le personnage principal, n’avait peut-être pas d’importance particulière au moment du casting (toujours selon Romero), elle induit toutefois des tensions dans le récit, au sein de la maison assiégée, et illustre d’une certaine façon la situation des Noirs aux États-Unis en 1968. Une ombre d’inquiétude, un vague sentiment de menace se lisent dans le regard du personnage de Barbara (blanche) au moment de l’arrivée de Ben (noir) qui se sent d’abord obligé de justifier qu’il n’a pas volé la camionnette avec laquelle il est arrivé (!) et va ensuite entrer dans un rapport de force et de pouvoir avec l’un des deux hommes blancs de la cave. Son sort final, marqué par une terrible ironie tragique, rappelle par ailleurs les pires heures des crimes commis contre les Noirs aux États-Unis et peut facilement faire écho au sort tout aussi tragique de Martin Luther King, disparu le 4 avril 1968. Concernant la menace des zombies, peut-on y voir l’expression d’une peur d’invasion des communistes ou celle d’une mauvaise conscience à l’égard de « morts-vivants » vietnamiens furieusement bombardés à cette époque ? Tout est imaginable. L’idée d’associer ces zombies à l’actualité est appuyée par la forme même du film, très réaliste ou, du moins, qui entretient l’illusion d’une prise directe avec la réalité, via l’insertion dans le récit de flashs d’info radio, de journaux télévisés avec intervention d’un expert scientifique et, à la fin, d’images fixes qui ressemblent à des photos de presse. Tout cela est renforcé, dans les scènes d’action, par l’utilisation d’une caméra à l’épaule, instable, aux effets quasi « documentaires ». Et par un casting d’acteurs inconnus, personnages lambda auxquels il est facile de s’identifier.
Ce premier long-métrage de Romero, qui est surtout l’œuvre collective d’une bande d’amis cinéphiles (et travaillant, pour la plupart, au sein d’une même société de production audiovisuelle), est un petit coup de maître qui transcende le film de genre pour l’ouvrir, même de manière plus ou moins involontaire, à une forme de critique sociopolitique. Tout n’est pas parfait dans la réalisation (parfois maladroite), dans la narration (avec une partie centrale un peu longue et bavarde) ou dans l’accompagnement musical (envahissant au début). Mais dans ce bricolage d’amateurs doués, il y a des moments de vraie inspiration horrifique (notamment la scène de cannibalisme), des contre-plongées bien effrayantes, une bonne gestion des espaces entre l’intérieur et l’extérieur (avec un intérieur qui, de refuge, devient lieu d’horreur) et un beau noir et blanc. On notera enfin, sur le fond, l’audace d’une histoire bien cruelle à l’égard des « gentils » et dévoyant l’image angélique de l’enfance au cours d’une séquence souterraine assez monstrueuse.
Rapidement devenu œuvre culte, puis classique de son genre, ce film de zombies a initié une mode durable dans la production de films d’horreur, une mode que Romero a continué lui-même à alimenter avec différents ersatz, participant aussi à sa façon au Nouvel Hollywood.
Frédéric Viaux (film vu le 25/11/1995, revu le 26/12/2014)