La Vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2
La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2
Fiche technique
Mon avis
Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu un film aussi limpide, aussi juste, aussi fort sur la passion amoureuse. Qu’elle se noue ici entre deux femmes est assez anecdotique. Hormis la question du regard des autres, du positionnement social, Kechiche s’intéresse essentiellement à l’amour, à la fièvre du désir et à la puissance des sentiments, qu’il aborde de manière très frontale. Aussi décrié soit-il (par les actrices ou les techniciens du film), le dispositif mis en place par le réalisateur pour capter cette histoire d’amour donne un résultat formidable, d’un naturel incroyable. La rencontre amoureuse, la séduction, l’amour physique, la vie commune, le conflit, le manque… Tout est traduit avec un réalisme à fleur de peau, à fleur d’émotion, par des actrices qui se donnent corps et âmes (Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux). Ça vibre, ça embrasse, ça jouit, ça rit, ça pleure…
Abdellatif Kechiche, toujours aussi exigeant et précis, filme au plus près des personnages, au plus vrai de la relation. Le réalisme est parfois très cru (les scènes d’amour), mais se conjugue aussi avec des compositions d’inspiration picturale ou sculpturale (entrelacement des corps, joli travail sur la lumière). D’autres sources d’inspiration, littéraires et philosophiques, accompagnent discrètement le récit : de Marivaux (déjà convoqué dans un précédent film de Kechiche, L’Esquive) à Sartre. Ces évocations interviennent en contrepoint de l’histoire, intelligemment tissées, pour souligner les notions de liberté et de responsabilité, d’affirmation et de réalisation de soi par des choix amoureux et, plus largement, des choix de vie. Ce sont ces choix de vie, centrés sur la transmission pour le personnage d’Adèle, sur la création pour le personnage d’Emma, qui seront décisifs dans l’histoire des deux femmes.
Par ailleurs, Kechiche a su mieux que jamais donner le temps au temps pour faire jaillir la vie de son scénario : du temps pour la parole (des dialogues qui se déploient avec une simplicité et une évidence parfois bouleversantes), du temps pour l’amour. L’intensité de tout cela fait passer les trois heures du film comme un souffle. On est happé par ce récit qui suit sur plusieurs années Adèle et Emma (la première devenant institutrice, la seconde artiste peintre), mais qui, petit bémol, ne concrétise peut-être pas assez le passage du temps sur le physique des personnages. Au-delà de ça, tout contribue dans ce film à susciter une pure empathie. Le trouble des deux jeunes femmes donne le frisson, leur histoire émeut jusqu’au dénouement, assez déchirant, même s’il ouvre de nouveaux horizons. Magnifique roman d’apprentissage amoureux, avec ses fulgurances sensuelles et ses tristesses infinies, La Vie d’Adèle est aussi un magnifique roman d’apprentissage de la vie.
Le film est librement adapté d’un roman graphique de Julie Maroh, Le Bleu est une couleur chaude.
Festival de Cannes 2013 : Palme d’or pour le film et pour les actrices ; Prix de la critique internationale. Grand Prix Fipresci 2013. Prix Louis-Delluc 2013. César 2014 du meilleur espoir féminin pour Adèle Exarchopoulos.
Frédéric Viaux (film vu le 09/10/2013)