Le Guépard
Il gattopardo
Fiche technique
Mon avis
Somptueuse adaptation du roman de Lampedusa, paru en 1958. Un roman dans lequel Visconti a probablement trouvé des résonances personnelles, lui qui est issu d’une illustre famille (lombarde). Quant à la Sicile, le réalisateur s’y était déjà intéressé quinze plus tôt en tournant La Terre tremble, documentaire néoréaliste sur la misère des pêcheurs. Autre style, autre classe sociale, autre époque… Au fond, les motivations biographiques et géographiques sont anecdotiques. Ce qui a certainement séduit Visconti dans le texte de Lampedusa, outre sa qualité, c’est son parfum de décadence, parfum que l’on retrouvera dans nombre de ses films comme une constante thématique et stylistique (Les Damnés, Mort à Venise, Violence et Passion…). “J’ai de la décadence un opinion très favorable”, dira-t-il après Violence et Passion.
Visconti peint ici le portrait d’un homme (le prince Salina) et le tableau de son milieu (l’aristocratie sicilienne) dans une période historique charnière (la seconde moitié du XIXe siècle, qui voit la bourgeoisie supplanter peu à peu la noblesse ancestrale). C’est le portrait d’un homme vieillissant mais lucide, qui s’adapte suffisamment pour préserver l’essentiel (“changer pour que rien ne change”), tout en faisant le deuil du passé et en ressentant une insondable mélancolie. Burt Lancaster confère à son personnage une élégance et une dignité incroyables, tout de raideur et de subtilité mêlées. Il est magnifique et touchant. C’est sûrement la plus belle prestation de sa carrière. Et l’une des plus grandes performances d’acteurs de tous les temps. À côté de lui, en opposition, Alain Delon et Claudia Cardinale incarnent parfaitement la beauté et la fougue de la jeunesse, ainsi que le renouveau sur le plan social et politique. Quant au tableau du milieu aristocratique, monde finissant, Visconti le restitue dans toute sa magnificence, comme un chant du cygne. La reconstitution est d’un luxe inouï. Des centaines de personnes ont travaillé sur les décors, les costumes, les coiffures, le maquillage… Chaque détail est soigné et le tout est magnifié par la photographie (couleurs sublimes) et la mise en scène (à la fois fluide et d’une grande qualité picturale). Point d’orgue de cette reconstitution : la longue scène de bal finale, qui a nécessité quarante nuits de tournage et dont Martin Scorsese s’est inspiré pour Le Temps de l’innocence. Cette scène d’anthologie résume tout le film : la vieillesse croise la jeunesse, le faste côtoie le vulgaire (propos ironiques sur les “petits singes”, plans sur les pots de chambre…). Les temps changent. La beauté d’antan commence à se corrompre. L’atmosphère devient étouffante. Et le prince Salina s’en va au petit matin, seul, vacillant légèrement dans la pénombre.
Raffiné, intelligent, émouvant, contemplatif sans jamais être ennuyeux, Le Guépard n’a qu’un seul défaut : le doublage des voix en VO italienne, vraiment approximatif. Mais peu importe… Palme d’or à Cannes en 1963, le film a obtenu un large succès à sa sortie, tant critique que public. À noter enfin quelques noms au générique : Suso Cecchi D’Amico, fidèle scénariste de Visconti ; Nino Rota, compositeur de la musique du film ; et Mario Girotti, alors jeune espoir du cinéma italien, qui prendra plus tard le pseudo de… Terence Hill.
Frédéric Viaux (film vu le 12/04/1996, revu le 31/08/2012)