Les Hauts de Hurlevent
Wuthering Heights
Fiche technique
Mon avis
Nouvelle adaptation du roman populaire d’Emily Brontë (1847), auquel se sont déjà frottés bien des réalisateurs : Albert Victor Bramble (1920), William Wyler (1939, avec Laurence Olivier et Merle Oberon), Luis Buñuel (1953, avec Jorge Mistral et Irasema Dilian), Robert Fuest (1970, avec Timothy Dalton et Anna Calder-Marshall), Yoshishige Yoshida (1988, avec Yûsaku Matsuda et Yûko Tanaka) et Peter Kosminsky (1992, avec Ralph Fiennes et Juliette Binoche). Aux commandes de cette version : Andrea Arnold, figure montante du cinéma indépendant britannique, qui signe là son troisième long-métrage, après Red Road (2006) et Fish Tank (2009). Son approche fait souffler un vent nouveau sur ce classique de la littérature : sans glamour, sans flonflon romantique. Loin du « divertissement de Noël ». C’est un mélodrame original, cru et âpre, d’une belle intensité sauvage et sensuelle.
Principale innovation d’Andrea Arnold par rapport au roman : Heathcliff est noir. Ce qui introduit une dimension sociale nouvelle, renforce la marginalisation du personnage et les difficultés d’un amour avec Cathy. Le scénario avive ainsi les tensions, les heurts. Pour le reste, il taille dans le texte, le dépouille de dialogues, le « désintellectualise », pour se concentrer de manière sensitive sur l’enracinement d’une obsession amoureuse dans un contexte rude et tourmenté. Le contexte humain, c’est un tissu de relations violentes, nourries de passion, de cruauté, de jalousie. Le contexte naturel, c’est un univers de boue et de vent, d’herbes folles noyées dans les brumes. La réalisatrice et le chef op’, Robbie Ryan, captent tout cela avec une caméra vibrante (souvent à l’épaule), proposent des points de vue subjectifs, alternent des gros plans frémissants de vie (sur les hommes, les animaux, la végétation) et des plans larges plus froids mais saisissants de beauté (paysages, ciels). Ils jouent aussi superbement avec la lumière ou avec les focales, entre le net et le flou. Dans le même temps se fait entendre une multitude de sons qui donnent encore plus de réalité, d’épaisseur, à l’environnement décrit. Un environnement que l’on ressent grâce à une remarquable poétique des éléments, avec une prédominance ici de la terre, de l’eau et de l’air. Le drame plonge ainsi dans une vraie matière élémentaire ; il y trouve son corps, son âme, son souffle. Et c’est rare.
Quelques petites faiblesses empêchent toutefois de s’emballer complètement. Au niveau de la narration, il y a un léger déséquilibre entre la partie sur l’enfance des personnages, qui s’étire dans le temps avec un minimum d’actions, et la seconde partie, à l’âge adulte, plus ramassée et davantage concentrée en rebondissements qui auraient mérité un peu plus de développements pour un meilleur impact. L’ellipse temporelle met par ailleurs en évidence des choix de casting pas très heureux ou une mauvaise gestion de l’évolution des personnages : les actrices interprétant Cathy enfant et Cathy adulte sont trop différentes physiquement pour que la transition soit crédible, tandis que certains personnages secondaires ont trop peu vieilli, d’une époque à l’autre, en comparaison des personnages principaux. Enfin, la réalisatrice, emportée par son élan, abuse parfois un peu des mêmes effets stylistiques. Cette nouvelle version des Hauts de Hurlevent n’en demeure pas moins inspirée, singulière, consistante et puissante.
Festival de Venise 2011 : Prix de la meilleure contribution artistique.
Frédéric Viaux (film vu le 13/12/2012)