Mon âme par toi guérie
Mon âme par toi guérie
Fiche technique
Mon avis
Après avoir connu mille et une difficultés de production, Dupeyron a finalement réussi à adapter son roman, « Chacun pour soi, Dieu s’en fout », auquel il a donné un titre de cinéma baudelairien (un vers de « Chanson d’après-midi »). Ce titre évoque non seulement le pouvoir de guérison du personnage principal, mais aussi toutes ces âmes en souffrance qui peuplent le film : le père de Frédi, veuf, peu enclin à la solitude et en rage contre le monde du travail ; sa fille ado, dépressive, témoin muet des disputes de ses parents séparés ; une amie d’enfance, qui gère sa vie tant bien que mal entre ses trois enfants turbulents et un compagnon volage ; la mère du gamin renversé, qui en veut à Frédi et à Dieu ; une inconnue croisée dans un bar, complètement alcoolique et désespérée… Sans oublier tous les « patients » de Frédi, qui viennent le trouver pour de petits bobos ou de grands malheurs. Bref, il y a dans ce scénario un concentré de misère humaine bien peu propice, effectivement, à séduire les producteurs et financeurs, notamment les chaînes de télévision. Le résultat leur donne tort. Car Dupeyron a su transcender son sujet, ou plutôt ses sujets, en excluant tout pathos inutile, sans sécheresse non plus, en tout cas sans misérabilisme, mais en allant « de profundis » vers la lumière (mouvement illustré par la superbe photo d’Yves Angelo). Le film affiche une belle intensité, humainement parlant, grâce à de bons dialogues, mais surtout grâce à une excellente interprétation d’ensemble : Grégory Gadebois, qui en impose en termes de présence, à la fois puissant et subtil ; Céline Sallette, convaincante dans un rôle casse-gueule (et malheureusement un peu artificiel) d’alcoolique ; Jean-Pierre Darroussin, dense sous des dehors peu expressifs ; Marie Payen, très bien dans un registre borderline ; et Philippe Rebbot, acteur étonnant, qui dégage une drôle d’énergie brute. Il y a de la générosité dans ce film, du don de soi. Et une envie d’embrasser large qui constitue aussi, hélas, l’écueil principal du scénario. En introduisant beaucoup de personnages, beaucoup de pistes dramatiques, Dupeyron ne parvient pas à tout faire exister et laisse quelques petites frustrations de traitement. Par exemple vis à vis de l’enfant renversé, de sa mère, ou encore de la fille de Frédi, personnages que l’on aurait aimé voir plus travaillés. Dommage, également, que le personnage interprété par Céline Sallette amène comme un deuxième film dans le film (du coup un peu long) et fasse perdre certains fils narratifs tissés jusque-là. « Mon âme par toi guérie » n’en demeure pas moins une œuvre assez inspirée, avec une histoire prenante et un contexte insolite, une Côte d’Azur comme on l’a rarement montrée au cinéma, un envers du décor des cartes postales, un no man’s land avec ses êtres en marge et ses mobil-homes.
Frédéric Viaux (film vu le 22/09/2013)