Mr. Turner
Mr. Turner
Fiche technique
Mon avis
Le plus beau et le plus original, dans ce film qui est l’un des moins bons de Mike Leigh, pourtant habitué à une certaine constance dans la qualité, c’est peut-être le générique du début, où des volutes de fumée laissent apparaître progressivement une toile de Turner, avec sa lumière diffuse et ses contours indécis. Au rayon des beautés plus « attendues », il y a la reconstitution historique, avec ses décors et ses costumes du XIXe siècle, très soignés, et bien sûr la reconstitution de scènes, marines ou autres, en référence aux œuvres du peintre. Le travail photographique du chef op’ Dick Pope est souvent très bon, à l’exception d’une ou deux prises de vue (notamment lors de la balade en barque) où l’image numérique paraît vraiment artificielle.
Mais le spectacle qui domine dans ce film, et qui le « mange », c’est celui d’un Timothy Spall grognant et grimaçant à n’en plus finir. Une prestation « hénaurme », peut-être conforme à la réalité d’un homme bestial et peu aimable, mais franchement lassante et d’autant plus dommageable qu’à force de polariser l’attention, elle nous « sort » souvent du film. On ne s’attendait pas forcément à découvrir un Turner à mi-chemin entre le moine Salvatore du Nom de la rose et le Chewbacca de Star Wars. Timothy Spall (Prix d’interprétation à Cannes !) est un grand acteur, c’est sûr, mais là il en fait quand même beaucoup, comme si Mike Leigh l’avait laissé en roue libre, répétant en boucle une même composition porcine…
Sur le fond, le réalisateur a nourri son propos d’éléments biographiques et artistiques, présentés de façon morcelée : quelques scènes de vie éparses, malheureusement d’un intérêt inégal. Le récit est long, très long, sans paraître pour autant consistant ou profond. Les failles du personnage central et globalement sa sensibilité enfouie sous une carapace grossière et répugnante ne sont qu’effleurées et se dissolvent plus ou moins entre deux anecdotes. On ne retrouve pas, hélas, l’acuité et l’intensité vibrante auxquelles Mike Leigh nous avait habitués dans ses films aux sujets contemporains. Par ailleurs, sa réalisation très lisse n’est guère en accord avec le relief du personnage, tout en aspérité et en brutalité. Cette distorsion entre le fond et la forme fait que le film peine à trouver son caractère. Quelques petits moments d’émotion (face à la souffrance bruyante de Turner en compagnie d’une prostituée ou face à la souffrance muette de sa servante) émergent tout juste de cette broderie digressive et plutôt fastidieuse, qui ne nous apprend finalement pas grand-chose sur l’art du peintre, le vrai sujet intéressant…
Frédéric Viaux (film vu le 07/12/2014)