Quai d’Orsay
Quai d’Orsay
Fiche technique
Mon avis
Adaptation très réussie, souvent hilarante, de l’excellente BD éponyme de Blain et Lanzac (éditions Dargaud). Une BD qui s’inspire de l’expérience ministérielle d’Antonin Baudry auprès de Dominique de Villepin. Baudry a d’ailleurs mystérieusement abandonné son pseudo, Lanzac, pour cosigner sous son vrai nom le scénario du film, avec Blain et Tavernier.
Malgré la qualité de la matière d’origine, le pari de transposition à l’écran n’était pas gagné pour Bertrand Tavernier, cinéaste peu abonné aux comédies. Mais son manque d’expérience « comique » a visiblement été compensé par son expérience plus large de cinéaste accompli, et aussi certainement par son immense culture de cinéphile, notamment sa passion pour le cinéma américain. Car il y a de la comédie US des années 1930 dans ce Quai d’Orsay. Il y a du Howard Hawks dans ces aventures débridées, menées sur un rythme fou. Le rythme, c’est la clé de la réussite de cette adaptation. Un rythme narratif qui épouse la vie trépidante et l’agitation intellectuelle du personnage central, via des saynètes courtes et détonantes, des dialogues ping-pong, un montage rapide… Voilà qui fonctionne très bien et participe, formellement, de la drôlerie de l’histoire. Tavernier s’est aussi permis, stylistiquement, quelques gadgets cartoonesques qui ont leur petit effet de running gag (déjà dans la BD) : les apparitions soudaines du ministre quand on ne s’y attend pas, façon Tex Avery, les portes qui claquent, les papiers qui s’envolent à chacune de ses allées et venues.
Sur le fond, c’est très fidèle à la BD. Le scénario en restitue tout le sel : le décalage comique entre la naïveté du personnage d’Arthur et la vicelardise des autres membres du cabinet, et puis surtout ce fameux portrait de ministre egocentrique, tout convaincu de la grandeur de sa tâche, insupportable donneur de leçons, orateur flamboyant et ridicule, qui trouve sa vérité davantage chez Héraclite ou chez Hergé que dans l’action concrète… C’est Thierry Lhermitte qui donne corps au personnage. Il lui manque un je ne sais quoi de « noble » pour tutoyer le modèle de Villepin « le Magnifique », mais si l’on s’en tient à la comparaison avec le héros de la BD, il offre une prestation convaincante. Tout le casting est d’ailleurs bien choisi : Raphaël Personnaz en jeune premier de la politique ; Niels Arestrup étonnant en chef de cabinet très mesuré, au calme olympien (joli contre-emploi) ; Bruno Raffaelli en conseiller ronchon, frustré de pauses-déjeuners ; Anaïs Demoustier délicieusement malicieuse dans le rôle de la petite amie d’Arthur ; Julie Gayet en garce sexy ; ou encore Thierry Frémont en impayable amateur de grivoiseries.
Bon, tout n’est pas parfait dans ce film : il y a quelques répétitions de scènes aux résonances vaguement similaires, et puis la présence du petit bêtisier de tournage durant le générique de fin apparaît franchement dispensable… Mais, globalement, ce portrait de ministre et ce tableau des coulisses de la vie politique française brillent par leur originalité et leur humour décalé. Quai d’Orsay est un film intelligent et réjouissant qui réconcilie avec la comédie hexagonale contemporaine.
Un petit conseil pour terminer : il ne faut pas quitter le film trop tôt car le générique comprend quelques mentions amusantes, notamment celle qui précise qu’aucune porte n’a été blessée ni maltraitée durant le tournage…
Festival de San Sebastián 2013 : Prix du meilleur scénario et Prix de la critique internationale. César 2014 du meilleur acteur dans un second rôle pour Niels Arestrup. Musique : Philippe Sarde.
Frédéric Viaux (film vu le 24/09/2013)