Qui a peur de Virginia Woolf ?
Who's Afraid of Virginia Woolf?
Fiche technique
Mon avis
Une nuit d’automne, un chemin jonché de feuilles mortes, une petite conversation débridée sur fond d’ivresse. Il y a déjà dans les premières scènes quelque chose d’usé, de fatigué, de décadent. Puis le confinement dans la maison révèle un foyer de rancœur, de violence latente. Personnages de ce quasi huis clos étouffant (tiré d’une pièce d’Edward Albee) : Martha et George. Elle, fille d’un doyen d’université, gâtée et capricieuse, harpie hystérique, monstre de vulgarité et de méchanceté. Lui, professeur d’histoire, ambitieux raté et humilié, plutôt passif et cynique. Le film est une grande scène de ménage éthylique et cruelle. Les insultes, les révélations intimes, la tension et la violence morale s’intensifient à mesure que les bouteilles se vident. On jure, on crache, on casse, c’est un véritable saccage. Une apocalypse du couple, où explosent les frustrations, les désillusions, avec une impudeur absolue, entre dégoût et hallucination. Ce jeu de massacre est doublé d’un jeu troublant sur la vérité et le mensonge. On raconte beaucoup d’histoires dans ce film, nourrissant des mystères douloureux : le récit d’un double parricide, l’évocation d’un fils dont on ne sait s’il est vivant ou mort, ou même s’il a jamais existé. Au petit jour, après un voyage chaotique au bout de la nuit, les masques tomberont, révélant une vérité déchirante et pathétique.
On sort sonné de ce film, règlement de comptes aux allures de match de boxe, mais aussi drame psychanalytique autour de la procréation, lourd de névroses, de refoulements, de catharsis. Sans éviter tous les pièges de la théâtralité, Mike Nichols (dont c’est le premier long-métrage) atteint ici une intensité rare. La photo en noir et blanc, très contrastée, est superbe. Quant aux acteurs, Elizabeth Taylor et Richard Burton, ils n’ont pas peur des outrances, mais sont extraordinaires. L’actrice, qui a obtenu un Oscar pour ce rôle, n’est plus une chatte sur un toit brûlant, comme dans le film de Richard Brooks (1958), mais un fauve déchaîné dans une maison en feu, champ de bataille de toute une vie.
Frédéric Viaux (film vu le 03/01/1998, revu le 21/04/2011)