Winter Sleep
Kis Uykusu
Fiche technique
Mon avis
Nuri Bilge Ceylan est un cinéaste ambitieux, un metteur en scène inspiré, un dialoguiste brillant (même si ses films, jusque-là, étaient peu bavards). C’est un homme intelligent et cultivé. Un esthète aussi. Cela ne fait aucun doute. Et Winter Sleep le prouve. Le récit est à la fois intimiste et ample, navigue entre drame psychologique et drame social, noue et dénoue des relations conjugales, des relations entre frère et sœur, toutes sortes de rapports amour/haine, dominant/dominé. Autour des thématiques du vide existentiel, des sentiments tourmentés, du pouvoir de l’argent, Ceylan fait s’entrechoquer égoïsme et générosité, courage et lâcheté, dignité et indignité, parle de foi, de religion, de morale, de conscience, épingle les prétentions humaines, les arrogances, les condescendances, avive les illusions et les désillusions, les frustrations, les culpabilités, les humiliations… Tout cela exprimé en un long fleuve de dialogues absolument bergmaniens, une longue série de règlements de comptes de plus en plus cinglants au fur et à mesure du film. Ceylan s’est inspiré de plusieurs nouvelles de Tchekhov et convoque aussi Dostoïevski, Shakespeare… dans le décor à la fois insolite et magnifique de la Cappadoce, superbement photographié. Voilà qui donne une Palme d’or dans la pure tradition d’un grand cinéma qui se considère comme tel et qui présente tous les défauts de ses qualités. Le talent sombre malheureusement dans la démesure : 3 h 15 de dialogues certes affûtés mais fastidieux sur la durée, qui n’évitent pas les lourdeurs analytiques. L’ambition confine à la prétention. Tout en critiquant une forme d’intelligence donneuse de leçons, Ceylan finit par en donner lui-même. Et il est franchement difficile de voir dans la nature du film ce que Télérama appelle un regard « constamment éclairé par la bienveillance » (Pierre Murat). On peut y voir au contraire un mépris suintant de toutes parts, à tous égards : le mépris que se vouent les personnages entre eux, le mépris que voue l’auteur à ses personnages, riches ou pauvres, maîtres ou larbins… Humainement, on peut trouver que ce déploiement d’intelligence méprisante est aussi assommant que déplaisant.
Festival de Cannes 2014 : Palme d’or et Prix de la critique internationale.
Frédéric Viaux (film vu le 05/08/2014)
Je concéderai à ce film, et aux émotions et impressions qu’il m’a provoquées, le bénéfice du doute sur les dialogues et leur traduction : je ne peux pas ignorer que pour de nombreux spectateurs de langue turque les dialogues sonnaient justes, fluides et naturels, tandis que je les ai ressentis lourds, artificiels et artificieux. Mais cela pourrait-il changer complètement l’appréciation de l’éthique du film ? Car je suis tout à fait d’accord avec ta description d’un mépris condescendant qui suinte de l’œuvre malgré sa posture supposément critique de ce mépris.