Le vent se lève
Kaze tachinu
Fiche technique
Mon avis
« Le vent se lève, il faut tenter de vivre. » Ce vers extrait du Cimetière marin de Paul Valéry donne le titre, l’exergue et le ton de ce film d’animation plutôt destiné aux adultes. Un film grave, triste, qui porte toutefois l’idée d’une impulsion malgré les tourments de la vie. Cette impulsion, le personnage principal, comme Miyazaki, la trouve dans le rêve, dans la création, envers et contre tout. Des séquences oniriques, il y en plusieurs dans le film, notamment des rêves « partagés » avec l’ingénieur italien Caproni (très belle idée). Des cauchemars aussi. Cauchemars de bombardements (dès le début) et de dévastation (à la fin de la guerre). Mais c’est bien le réalisme qui s’impose dans ce dessin animé. Après avoir tant et si bien œuvré dans le registre du conte merveilleux ou fantastique, Miyazaki donne à ce récit un fort ancrage historique, social et politique. Il est question du tremblement de terre et du grand incendie de Tokyo en 1923, de la crise économique des années 1930, de la montée en puissance des idées va-t-en-guerre du Japon dans l’ombre de l’Allemagne nazie, jusqu’aux destructions finales qui mirent le pays à terre. Le réalisme touche aussi le domaine de l’aéronautique dans ce qu’il a de technique. On peut trouver quelques passages un peu trop détaillés, un peu longs, mais ils donnent corps à l’univers du héros, aux objets de sa fascination, et rendent donc crédible son portrait. Ce portrait de Jirô Horikoshi, concepteur du Zéro, génie de l’aéronautique pour les uns, criminel de guerre pour les autres, échappe cependant au biopic historique. Miyazaki en a fait un personnage-fusion dans lequel il y a beaucoup de la vie de l’ingénieur japonais, certes, mais aussi de celle de l’écrivain Tatsui Hori. Le réalisateur a également beaucoup mis de lui-même dans ce personnage myope, passionné par les machines volantes, marqué par la guerre… Bref, Jirô Horikoshi est ici un personnage fantasmé, un idéaliste qui poursuit toute sa vie ses rêves de gamin, un créateur dévoué à son art, dans sa bulle perfectionniste, même s’il est amèrement lucide quant au dévoiement de ses rêves. Là est la licence poétique de l’auteur par rapport à la vérité historique du personnage ; on l’accepte ou pas. Si on l’accepte, alors on peut lire dans ce film la profession de foi d’un artiste, la défense d’un art conjugué au rêve, d’un art qui aide à vivre et à envisager l’avenir.
Au-delà de ces considérations, cet opus du maître de l’animation japonaise force une nouvelle fois l’admiration en matière visuelle et narrative. Visuellement, le résultat est de toute beauté : luxe et précision des détails, traitement éclatant des couleurs, virtuosité aérienne (soutenue par une superbe BO). Narrativement, Miyazaki déroule son récit avec une vraie science de l’ellipse et de l’équilibre pour trouver l’harmonie entre réalisme, onirisme et lyrisme mélodramatique. Un lyrisme qui s’exprime par le biais d’une romance pudique et délicate, marquée notamment par une scène de mariage et une envolée finale aussi gracieuses qu’émouvantes.
Frédéric Viaux (film vu le 23/01/2014)