Affreux, sales et méchants
Brutti, sporchi e cattivi
Fiche technique
Mon avis
Ce qui frappe en premier lieu, en revoyant ce film, c’est son côté politiquement incorrect, cette audace outrancière propre aux comédies italiennes des années 1970. Toujours désireux d’offrir un autre regard sur la société italienne, Ettore Scola plonge dans le monde miséreux des bidonvilles de banlieue (ici à Rome). Une plongée sans concession, sans filtre. On est loin des représentations clichés de la pauvreté, qu’elles soient idéalisées (la dignité des pauvres), condescendantes ou empreintes d’un pathos mélodramatique. Le film porte bien son titre. Les personnages sont effectivement affreux, sales, méchants. Et le scénario y va gaiement en matière de vulgarité, de violence, de bêtise crasse, de sexualité débridée. Alors, qu’y a-t-il derrière ce spectacle trash ? D’abord la critique du phénomène d’exclusion sociale qui mène à cette marginalité bordélique et immonde. Ensuite la mise en lumière des laissés pour compte de la société, d’une réalité que l’on ne souhaite pas voir, mais qui coexiste avec d’autres réalités plus reluisantes. La vue sur la basilique Saint-Pierre, au loin, est bien ironique. Mais il semble y avoir aussi, derrière le burlesque vachard et l’humour noir d’Ettore Scola, un constat désespéré face à la capacité de ces communautés pauvres à cultiver en vase clos le même bouillon de bas instincts, à reproduire les mêmes cercles vicieux, à s’autoreproduire… Le dernier plan sur la jeune fille enceinte est ainsi déprimant. Cela dit, c’est bien la truculence qui imprègne l’essentiel du film. Une truculence savamment mise en scène. Le début est génial : plan-séquence de nuit, dans un taudis, entre les corps enchevêtrés des membres d’une même famille, toutes générations confondues, jusqu’au patriarche qui sort un fusil de son lit ! La suite donne à voir, de façon chorale, des personnages interprétés par des acteurs non professionnels pour la plupart, issus eux-mêmes de bidonvilles. Mention spéciale à la grand-mère qui apprend l’anglais devant sa télé. Ça braille, ça jouit, ça cogne tous azimuts. Avec un point d’orgue : le fameux banquet vengeur, filmé comme un règlement de comptes de western. Alors bien sûr, ce film féroce et naturellement peu ragoûtant ne plaira pas à toutes les sensibilités, mais il reste assez extraordinaire dans l’histoire du cinéma, comme tableau social et comme tableau familial. « La famille, c’est comme les bottes. Plus c’est serré, plus ça fait mal ! »
Prix de la mise en scène au festival de Cannes 1976.
Frédéric Viaux (film vu le 02/08/1997, revu le 25/01/2016)