Ida
Ida
Fiche technique
Mon avis
Ce qui frappe d’emblée dans ce film, c’est la grande beauté des images. Un travail d’esthète. Sublime noir et blanc qui tire largement vers le blanc, sur fond de paysages campagnards enneigés ou de décors urbains blafards. Magnifique composition de plans, jouant avec des lignes graphiques et décadrant souvent les personnages principaux en bordure d’image. Dans la tonalité blanche, il y a probablement la pureté et l’innocence d’Ida confrontée à la noirceur du passé, à la grisaille du présent. Dans le décadrage, il y a certainement l’idée du décalage des deux personnages centraux, chacun à sa façon : Ida par rapport au monde extérieur qu’elle découvre, par rapport à une histoire familiale qu’elle apprend douloureusement à connaître ; Wanda en juge d’instruction, femme à poigne dans un univers masculin, mais aussi nouvelle Marie-Madeleine face à sa petite sainte de nièce. De leur rencontre et de la confrontation à leur histoire naissent des questionnements intimes, existentiels. Le film sonde l’envie d’être au monde, voire la possibilité même d’être au monde. Pour Ida : l’envie d’une vie recluse avec Dieu, dans la foi, ou l’envie d’une vie avec les hommes, faite de petits plaisirs et de problèmes triviaux. Pour Wanda : la possibilité de vivre au présent avec le poids de son passé et de ses paradoxes, après avoir connu l’extermination des juifs, de sa famille, mais aussi après avoir participé activement, plus tard, en tant que procureur de la République, à l’élimination des « ennemis du peuple ». Wanda est un personnage torturé, dont le cynisme, les provocations et la liberté cachent mal un dégoût de soi et du monde. Au fil de leur enquête et de leur cheminement personnel, Wanda et Ida vont par ailleurs sonder une mauvaise conscience collective, celle d’un pays, la Pologne, qui cherche à oublier des épisodes peu glorieux d’un passé récent (la Seconde Guerre mondiale) et qui, au présent (celui des années 1960), fait le grand écart entre communisme et catholicisme.
Ces nombreuses pistes thématiques et dramatiques font l’intérêt, la complexité et la richesse de ce film qui, du coup, paraît trop court (1 h 20) pour tout embrasser et aller en profondeur. Voilà qui est un peu frustrant, même si l’ensemble est toujours intelligemment et subtilement pensé. Le réalisateur polonais Pawel Pawlikowski, pour son premier long-métrage tourné en Pologne après avoir signé, en Angleterre ou en France, des films comme My Summer of Love ou La Femme du 5e, est allé à l’essentiel de sa trame, en enchaînant rapidement les situations, sans s’appesantir. Il a fait le choix de la concision et d’une certaine distance, froide, qui anesthésie l’émotion, mais diffuse une tristesse sèche assez marquante et un pessimisme profond quant à la foi qu’on peut avoir en l’homme. Il a fait le choix d’emballer la lourdeur de son drame dans une narration fluide, avec une grâce qui se nourrit d’une austérité lumineuse. Jolie science du contraste. Ça frôle parfois la pose esthétisante, mais c’est une fête pour les yeux. Enfin, le film doit beaucoup aux deux actrices Agata Trzebuchowska et Agata Kulesza, très intenses, la première par ses silences et regards éloquents, la seconde par ses impulsions nerveuses et cinglantes.
Oscar 2015 du meilleur film en langue étrangère.
Frédéric Viaux (film vu le 12/02/2014)