L’Étreinte du serpent
El abrazo de la serpiente
Fiche technique
Mon avis
C’est le troisième long-métrage du Colombien Ciro Gerra, inspiré par les récits historico-ethno-botaniques de deux explorateurs de l’Amazonie au XXe siècle : l’Allemand Theodor Koch-Grunberg et l’Américain Richard Evans Schultes. Ces deux sources se traduisent à l’écran par une narration double et alternée, avec deux expéditions qui se font écho, à quarante ans d’intervalle ; la seconde éclaire la première, à la façon d’une enquête sur des faits passés. Cette structure originale sert d’abord un ensemble de considérations sur les rapports entre les colons blancs et les Indiens d’Amazonie. Le scénario appuie là où ça fait mal : massacre de populations, conversions forcées au christianisme, dérives sectaires, destructions des savoirs et des cultures, pillage des ressources naturelles… La violence et l’amertume sont partout, à chaque étape de ce film dont la progression et le cadre rappellent – en plus humble – deux œuvres de Werner Herzog : Aguirre et Fitzcarraldo. Immersion lente dans un monde d’eau et d’arbres, découverte à la fois envoûtante et inquiétante, plongée au cœur de la folie des hommes, au cœur de ténèbres qui sont aussi très « conradiens ». La séquence avec le « messie-gourou », notamment, est impressionnante. Il y a par ailleurs dans ce river-movie au rythme sinueux, tel le cours de l’Amazone ou les reptations d’un serpent, un double récit initiatique qui, sans basculer dans un trip onirique à la Dead Man, comporte une dimension mystique et hallucinogène. Tout cela est porté par une réalisation superbe et hypnotique, très inspirée dans ses angles de vue, dans ses mouvements ondoyants, dans ses transitions pour passer d’une époque à l’autre. La photo en noir et blanc magnifie des paysages incroyables. Grande beauté visuelle. Grande beauté sonore également. Récompensée à la Quinzaine des réalisateurs en 2015, cette Étreinte du serpent est probablement un peu longue, mais l’aventure vaut singulièrement le détour. Mystérieuse, elle nous hante encore quelque temps après la fin du film.
Frédéric Viaux (film vu le 23/12/2015)