Le Ruban blanc
Das weiße Band - Eine deutsche Kindergeschichte
Fiche technique
Mon avis
Dans la filmographie de Michael Haneke, Le Ruban blanc apparaît, formellement, comme son œuvre la plus « classique » à ce jour. Reconstitution historique très soignée, narration en voix off, superbe noir et blanc numérique, composition de tableaux vivants dont la beauté austère rappelle parfois la peinture flamande ou certaines toiles de Whistler, par exemple. Le film témoigne ainsi d’une grande maîtrise esthétique. C’est aussi, probablement, l’une des œuvres les plus « regardables » du cinéaste autrichien, dans le sens où la violence est rarement présentée crûment, dans son instantanéité, mais plutôt dans ses conséquences (le corps d’une femme morte, un visage d’enfant tuméfié, un oiseau mutilé, etc.), ou bien hors champ (cris d’enfants perçus à travers une porte close lors d’une séance de flagellation). Mais cet aspect distancié ne rend pas le film moins terrible, au contraire. Tout est latent, caché derrière les murs épais des maisons.
Jamais démonstratif, Michael Haneke n’apporte pas de solutions aux questions soulevées par l’intrigue : qui commet tous ces actes de violence ? Pourquoi ? Il présente un faisceau d’hypothèses. Ce qui lui importe, c’est de décrire le contexte social, religieux, traditionnel, qui favorise de tels actes. Poids de la baronnie, éducation protestante rigoriste… Tout un système d’ordre et de devoir, de soumission et d’humiliation, de punition et de frustration. Le réalisateur montre une série d’accidents de la vie qui, mis à bout à bout, finissent par créer un climat délétère. Comme autant de manifestions d’une rébellion, d’une haine sourde et incontrôlable. Un possible terreau du nazisme, si l’on suit l’idée de l’auteur qui cherche les « racines du mal » à travers les signes d’une violence sociale et mentale. C’est ce qui rend le film aussi intéressant.
Et comme souvent chez Haneke : le monde de l’enfance est présenté comme une caisse de résonance des erreurs, perversions et autres abus du monde des adultes. Le ruban blanc, petit bout d’étoffe immaculé, était censé représenter la pureté de l’enfance ; il ne fait qu’en souligner les souillures. Car le film est un roman d’apprentissage négatif et monstrueux, les chères petites têtes blondes devenant de plus en plus inquiétantes au fil du temps, donnant à cette communauté des allures de village des damnés. Une damnation qui n’a rien de fantastique, pour faire référence aux films de Wolf Rilla ou John Carpenter (Le Village des damnés, 1960 et 1995), mais qui pourrait être un prologue aux Damnés de Visconti, réaliste et déjà décadent.
Pour conclure, disons que Le Ruban blanc ne se « donne » pas de façon évidente, en raison de sa froideur, de sa dramatisation limitée, de son absence de conclusion, mais il donne à réfléchir, subtilement. Et c’est beaucoup.
Cette exploration des « origines du mal », tableau d’une jeunesse-berceau du nazisme, est à rapprocher du premier film de Volker Schlöndorff, Les Désarrois de l’élève Törless. L’environnement social n’est pas le même, l’approche diffère également (épaisseur du mystère chez Haneke ; conclusion philosophique et morale chez Schlöndorff), mais les deux œuvres, dans leur parenté thématique et stylistique, se complètent bien en sondant un abîme de complexité.
Palme d’or au festival de Cannes en 2009. Grand Prix Fipresci 2009.
Frédéric Viaux (film vu le 15/11/2009)