Les Temps modernes
Modern Times
Fiche technique
Mon avis
Les variations sur l’homme et la machine au début et au milieu du film, le quiproquo lorsque Charlot se saisit d’un drapeau rouge tombé d’un camion, la vie quotidienne dans la bicoque au bord de l’eau, l’utilisation “aveugle” des patins à roulettes dans le grand magasin, la danse et la chanson dans le cabaret… Autant de scènes cultes, parmi d’autres, qui témoignent du génie de Chaplin en matière de chorégraphie et de gag, et de son immense talent pour conjuguer le comique pur, le mélodrame et la critique sociale. En brodant un “récit sur l’industrie, l’initiative individuelle et la croisade de l’humanité à la recherche du bonheur” (c’est l’exergue du film), le réalisateur-acteur fustige ces temps modernes, les années 1930, avec la mécanisation à tous crins, la déshumanisation en marche, le chômage et la misère à chaque coin de rue. Il compare les hommes à des moutons, invente une machine à manger et annonce Big Brother. Le traitement par l’absurde, associé à une naïveté désarmante et à un optimisme indéboulonnable, lui permet de faire passer des messages (humanistes ou politiques), sans lourdeur et sans jamais sacrifier le divertissement. C’est l’art de montrer la réalité en la dépassant, en la transcendant par le rire et l’émotion.
Sur le plan sonore, le film est d’un genre hybride, à la frontière du muet et du parlant, bien que réalisé neuf ans après l’invention du parlant. Charlot, dont c’est l’avant-dernière apparition au cinéma (avant Le Dictateur), n’a toujours pas de dialogues, mais il chante à la fin. Petite concession au parlant car il chante dans un langage imaginaire, tout en mimant sa chanson (une scène extraordinaire). La facture d’ensemble est donc plutôt celle d’un film muet… mais avec une importance paradoxale accordée à la bande son (le bruit des machines, notamment). Le réalisateur évolue entre tradition et modernité. À l’époque, il restait persuadé que la parole nuisait à la portée universelle du cinéma. Parole qui risquait aussi de bouleverser la mythologie de son personnage fétiche…
Côté narration, on remarque que la dimension du long-métrage n’a pas été parfaitement intégrée. À défaut d’une trame continue, fluide, on ressent toujours le découpage par sketches. Petit bémol pour ce grand film. Mais au moment de sa sortie, ce sont d’autres critiques qui se firent entendre, sur le fond, aux États-Unis et en France. Les conservateurs américains accusèrent Chaplin de sympathie pour le communisme. Dans l’Hexagone, on lui reprocha d’avoir plagié À nous la liberté, de René Clair. Des emprunts ont effectivement été reconnus lors d’un procès intenté par le producteur du film français, qui n’obtint cependant pas la destruction des bobines. René Clair, lui, resta en dehors de cette affaire. En marge des critiques, heureusement, le grand public aux États-Unis et en France fit un succès à ces Temps modernes. Les Allemands et les Italiens, eux, n’en eurent pas l’occasion, puisque leurs gouvernements respectifs en interdirent la diffusion nationale.
Pour info, au moment du tournage, Paulette Goddard était la compagne de Charles Chaplin. Ils s’étaient rencontrés en 1932. Ils se sépareront en 1940. Une quinzaine d’années plus tard, elle épousera Erich Maria Remarque.
Frédéric Viaux (film vu le 12/08/1997, revu le 24/07/2012)