Les Trois Sœurs du Yunnan
San zimei
Fiche technique
Mon avis
Un coin de Chine perché à 3 200 mètres d’altitude. Un coin isolé, où les habitants connaissent des conditions de vie qui l’on pourrait croire d’un autre âge. Pauvres masures, saleté générale… Des enfants qui grandissent entre cochons, moutons, volailles, chiens, chats… Et qui se cherchent littéralement des poux dans la tête. Il y a là un tableau de la Chine comme on en voit peu au cinéma. Loin des villes. Hors du temps. En marge des mutations industrielles et de la croissance économique. Les personnages de ce tableau : quelques laissés pour compte de la marche en avant d’un pays. Quelques « oubliés » dans une contrée perdue. Cette peinture sociale, d’une valeur quasi anthropologique, rend le film particulièrement intéressant, en termes de découverte. Et ce d’autant plus que le dénuement du style adopté par le réalisateur épouse le dénuement de la vie des gens qu’il filme. Avec sa caméra numérique, Wang Bing suit les mouvements des uns et des autres (on entend même son souffle à un moment donné), saisit les gestes et les paroles du quotidien. Pas de dramatisation autre que celle de la vraie vie. Pas de misérabilisme. Pas de commentaire. Mais une recherche d’authenticité pure, en immersion. Cette approche distante et sèche, en contrepoint de l’âpreté ou de la rudesse de ce qui est montré, finit par éveiller subtilement un sentiment d’empathie, voire de compassion, notamment à l’égard de l’aînée des trois sœurs, personnage central du documentaire. Wang Bing filme à hauteur d’enfant la vie de cette petite adulte, rendant son courage quotidien et sa solitude d’autant plus émouvants.
Cette expérience de cinéma, par son ambition même, s’inscrit dans la durée, dans la répétition des jours, au risque de cultiver des longueurs à l’écran. 2 h 30 de film, c’est probablement un peu trop. Mais c’est un court-métrage en comparaison des 9 heures d’À l’ouest des rails, autre documentaire du cinéaste… À l’inscription dans la durée, on peut préférer l’inscription dans l’espace. Espaces ouverts et poétique des éléments. Espaces clos et captation presque magique d’une lumière qui fait de certains cadres des tableaux. Pour une nouvelle esthétique naturaliste.
Frédéric Viaux (film vu le 09/05/2014)