Mort à Venise
Morte a Venezia
Fiche technique
Mon avis
Luchino Visconti adapte le chef-d’œuvre de Thomas Mann dont il garde les thématiques majeures (la création artistique, l’idéal, la beauté, le désir, la mort) et le cadre (Venise, de l’aube au crépuscule, de la magnificence à la putréfaction). Mais il change la profession d’Aschenbach, le personnage central, d’écrivain à musicien, pour mieux adjoindre au récit la musique de Gustav Mahler, qui épouse avec une évidence majestueuse et triste le lyrisme du récit. Et surtout, il traduit la dimension intellectuelle du texte-source en une pure contemplation. C’est un véritable tour de force poétique où tout est dit à l’image, sans recourir (ou presque) aux mots, aux dialogues. Zooms avant et arrière pour exprimer les jeux de regards, le magnétisme, le trouble qu’éprouve le personnage principal pour Tadzio, sa fascination, son obsession… Lents travellings pour dire la mélancolie d’une fin de vie, le bonheur de tutoyer la beauté incarnée et le malheur de ne l’atteindre jamais (comme cet horizon que désigne l’adolescent à la fin du film). Parfum suave et vénéneux d’une passion saisie dans sa polysémie, entre joie et souffrance. Parfum qui se dégage des décors riches et fleuris de l’hôtel où ont lieu les rencontres quotidiennes. Parfum qui se dégage d’une séance chez le coiffeur, d’où Aschenbach ressort le cheveu teint et la peau fardée. Visconti suit son héros subjugué et pathétique (excellent Dirk Bogarde) dans une déambulation envoûtante, sans issue, composant autour de lui des tableaux vivants d’un raffinement sans nom (les scènes d’hôtel) ou de solitude infinie (les dernières scènes de plage, en plan large). Il ajoute à la narration quelques réminiscences proustiennes, n’évite pas toujours un certain maniérisme dans la richesse de son esthétique et la longueur de certains plans. Mais tant de beauté, de lyrisme et d’intelligence laisse pantois.
À noter que le jeune acteur suédois qui interprète Tadzio, Björn Andrésen, était apparu un an plus tôt, en 1970, dans le premier film de Roy Andersson : A Swedish Love Story.
Frédéric Viaux (film vu le 09/05/1997, revu le 18/05/2015)
« Les travellings de Visconti opèrent parfois une temporalisation de l’image et forment une image temps directe. Plutôt qu’un mouvement physique, il s’agit surtout d’un déplacement dans le temps. » Voilà ce que j’ai retenu de ce que m’a enseigné un excellent prof de français concernant Visconti… Il citait Deleuze. Merci ! Sans lui, je serais passée à côté d’un artiste de grand talent !