Tabou
Tabu: A Story of the South Seas
Fiche technique
Mon avis
Est-ce « le plus beau des films », comme l’écrivaient Alexandre Astruc et Éric Rohmer ? Peut-être pas… Mais une chose est sûre, c’est la dernière réalisation de Murnau avant qu’il ne meure, en mars 1931, dans un accident de voiture. Accident qu’il aurait lui-même provoqué, selon ses proches. Accident dû à une malédiction similaire à celle qui frappe le héros du film, selon les superstitieux. Tourné à Bora-Bora, en décors naturels, réalisé en muet mais avec un accompagnement musical, ce Tabou a été initialement porté par Murnau et Flaherty (Nanouk l’Esquimau), jusqu’à ce que ce dernier lâche l’affaire, en cours de route, mécontent du rôle uniquement technique qui lui était attribué pendant le tournage. En voyant le film finalisé, Flaherty regretta que Murnau ait « romantisé » la croyance du tabou et « occidentalisé » les mœurs et les motivations des personnages. Les conceptions artistiques des deux cinéastes se sont donc révélées incompatibles ; d’un côté, le naturalisme de Flaherty, de l’autre, le réalisme lyrique de Murnau. Et au final, à l’exception du prologue naturaliste que l’on peut légitimement attribuer à Flaherty, le film porte bien la marque stylistique de Murnau. Caméra très mobile et montage rapide. Récit empreint d’un romantisme tragique cher au cinéaste allemand exilé aux États-Unis, avec de petites touches pessimistes ou amères sur les rapports nature/culture ou tradition/modernité (pureté et innocence versus corruption apportée par la civilisation colonisatrice). Pour être critique, on dira que la mécanique narrative ne semble pas toujours optimale, un peu hachée, avec des séquences d’un intérêt parfois relatif. Le casting, mêlant autochtones et Européens locaux, est hétéroclite. Mais cette histoire d’un amour impossible, d’un exotisme à la fois très lumineux (superbe photo) et très noir (cruel dénouement), a son charme. Le charme mélancolique des paradis perdus.
Frédéric Viaux (film vu le 21/01/2020)