Whiplash
Whiplash
Fiche technique
Mon avis
Whiplash, c’est un drame musical qui swingue avec une énergie folle, jusqu’à atteindre, dans un final-apothéose, une forme de transe extatique mémorable. C’est aussi un roman d’apprentissage assez cruel, qui se déploie dans un esprit de compétition délétère, dans une quête de l’excellence qui n’a pas de prix. Bref, dans un contexte où se révèle la face (la force ?) obscure du rêve américain, cette obsession d’être un gagnant, qui ouvre une réflexion plus large sur la formation d’un artiste, les conditions d’éclosion d’un talent, la création artistique… Whiplash (“coup de fouet” en anglais) est par ailleurs un grand film sadomaso dont l’intrigue, ténue, repose essentiellement sur le rapport de force entre le personnage principal, Andrew, et son terrible professeur : jeu de provocations, d’humiliations, de manipulations ; jeu pervers d’amour-haine avec ce que cela suppose de déstabilisation et d’ambiguïté, d’échange de rôles entre bourreau et victime, de renversement des valeurs. Le gentil boyscout-batteur du début se révèle un impitoyable carnassier. Le méchant enseignant-tyran dévoile quelques nobles et généreuses ambitions, à défaut d’user de nobles et généreuses méthodes… L’affrontement de ces deux-là donne au film des allures de match de boxe, les salles de répétition ou de concert faisant office de ring. Son intensité et son suspense sont également dignes d’un thriller. Et la séquence finale a quelque chose d’un duel de western – avec pour seule arme la musique – entre un vieux shérif-mentor-vengeur et un jeune cow-boy ambitieux, arriviste, prêt à défier voire “tuer le père” pour entrer dans la légende. C’est tout cela qui fait la richesse et l’originalité de Whiplash. Tout cela mis en scène avec une virtuosité furieuse, électrique, par Damien Chazelle, réalisateur très doué, dont ce n’est que le second long-métrage. En plus d’être un bon directeur d’acteurs, poussant Miles Teller et J.K. Simmons à une sacrée performance, il sait donner à son film une épaisseur à la fois psychologique et physique, lui conférer une tension permanente, nourrie de peurs, de névroses et de violence, autour d’un enjeu radical : la destruction ou la transcendance. Super sujet, super traitement, même si le jeune cinéaste se laisse lui aussi galvaniser par son talent ; il en fait parfois un peu trop, se répète, mais fait parler sa puissance et ouvre d’ores et déjà une voie singulière et brillante.
À noter que Whiplash est truffé d’éléments plus ou moins autobiographiques en matière d’antécédents musicaux : Damien Chazelle a étudié la batterie dans un conservatoire et utilisé ses souvenirs pour écrire son film ; Miles Teller est lui-même batteur et J. K. Simmons se destinait, dans sa jeunesse, à devenir compositeur.
Festival de Sundance 2014 : Grand Prix pour une fiction US et Prix du public pour un film de fiction. Festival de Deauville 2014 : Grand Prix et Prix du public. Oscar 2015 : meilleur acteur dans un second rôle (J.K. Simmons), meilleur montage, meilleur mixage.
Frédéric Viaux (film vu le 25/12/2014)