Saint Laurent
Saint Laurent
Fiche technique
Mon avis
Après le film de Jalil Lespert sorti en janvier 2014, intitulé Yves Saint Laurent, c’est le second biopic de l’année consacré au créateur de mode, décédé en 2008. Le premier était approuvé par Pierre Bergé, compagnon de l’artiste et cofondateur de la marque Yves Saint Laurent. Le second, non. Mais peu importe l’adoubement officiel. En réalisant un biopic à sa façon, libre variation historique et poétique, Bertrand Bonello offre une vraie vision de cinéma, et c’est bien ça le plus important. Son film est axé sur la décennie la plus créative, la plus intense, la plus représentative du talent et de la vie d’Yves Saint Laurent (entre 1967 et 1977). Une décennie racontée façon puzzle, avec des va-et-vient dans la chronologie (qui permettent d’éviter habilement le déroulé plan-plan), et dépassée dans la dernière partie du film par un intéressant jeu d’échos entre la jeunesse et la vieillesse du personnage central. Bonello aborde son sujet à la manière d’un impressionniste, par petites touches, par fragments de vie et fragments d’image (split screen), pour brosser le portrait d’un homme en cernant ses multiples facettes et dessiner en filigrane le tableau d’une époque en pleine révolution sexuelle. Il saisit l’artiste et l’amant en un même mouvement, parle de désir, de jouissance, de création et de destruction, d’état de grâce et de delirium tremens, de paradis artificiels et de descente aux enfers. Il navigue entre les lieux les plus chics de Paris et quelques coins bien glauques, entre gloire et décadence. Le réalisateur avait déjà donné dans une certaine décadence avec L’Apollonide. Il s’y adonne de nouveau ici, avec un soin d’esthète qui fait de lui un héritier moderne, dans l’esprit, du courant littéraire décadent de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, ou encore du cinéma de Visconti, comme en témoigne le choix d’Helmut Berger (fameux Damné qui incarne à lui seul la décadence à la Visconti) pour interpréter Saint Laurent dans ses dernières années. La belle décadence investit par ailleurs les décors et les costumes, travaillés avec une précision fétichiste, ainsi que la réalisation, avec ses travellings soyeux ou fiévreux, ses cadrages très graphiques, ses couleurs riches, ses ralentis planants… Une folle élégance qui offre quelques moments envoûtants et fascinants, emballés par une superbe BO (choisie par Bonello lui-même). Enfin, ce Saint Laurent doit évidemment beaucoup à son interprète principal, Gaspard Ulliel, qui déploie un jeu sobre et fin pour faire jaillir le mélange de douceur et d’excès de son personnage, exprimer « l’immense fragilité qui le rend fou », évoquer le « monstre » qu’il nourrit et qui le détruit. L’acteur, qui révèle au passage une ressemblance physique étonnante avec son modèle, est remarquable dans ce rôle à César, au cœur d’un film en tout point cohérent et inspiré. Impressionniste dans sa structure, décadent dans son style, ce film n’a qu’un seul défaut, celui de jouir un peu trop (et un peu trop longtemps) de sa propre sophistication, au détriment de l’émotion.
César 2015 des meilleurs costumes.
Frédéric Viaux (film vu le 24/09/2014)